COUP
D'ŒIL SUR LE CINÉMA ISRAÉLIEN
SE CONNAÎTRE POUR
DÉCOUVRIR L’AUTRE
Alain MOUTOT
De nombreux et très bons films israéliens ont pu
être vus ces derniers temps sur les écrans français
et, il faut l’espérer, pas seulement dans la capitale. Il ne
s’agit pas d’un cinéma militant mais d’un cinéma
passionné de la réalité israélienne
actuelle.
À l’étranger, parmi les juifs et les non-juifs, on
s’ingénie souvent à ne retenir d’Israël que la
guerre, réalité certes incontournable. Mais c’est aussi
un prisme déformant, un attrait tétanisant qui
empêche l’observation authentique d’une société aux
multiples facettes.
Le fait est qu’il n’est pas question, dans cette profusion
cinématographique, si ce n’est par brèves allusions, du
conflit israélo-palestinien qui ne constitue pas le thème
principal du film.
Ainsi la référence à un attentat est furtive dans
le film Avanim de Raphaël Nadjari : l’héroïne mal
mariée attend comme à son habitude, entre midi et 14
heures (hommage implicite à l’introduction du
célèbre Psychose d’Alfred Hitchcock ?) un amant qui ne
viendra pas pour la terrible raison qu’il a été
fauché par la violence terroriste.
Dans Tu marcheras sur l’eau d’Eytan Fox, l’allusion à l’attentat
urbain est encore plus rapide. Une musique spécifique
diffusée à cette occasion funèbre sur les ondes de
la radio est entendue par le héros dans sa voiture.
Ce cinéma porte en priorité son attention, sans exclure
les touches intimistes, sur les données sociales d’Israël
d’aujourd’hui.
Ainsi, dans le remarquable Prendre femme de Ronit et Shlomi
Elkabetz, réalisatrice inspirée et actrice à forte
personnalité, est traitée l’aliénation d’une femme
dont la vie conjugale entrave l’épanouissement. L’histoire est
censée se passer dans les années 1970 dans les milieux de
l’immigration marocaine. Mais il n’est pas interdit de sortir de ces
limites et d’y voir une dénonciation de la condition faite
à la femme dans la société actuelle. Une superbe
première séquence met en scène de façon
poignante, parents et fratrie formant un cercle pressant et
oppressant autour d’une épouse n’en pouvant plus
d’un mariage qui l’étouffe. Elle voudrait divorcer d’un mari
traditionaliste dont le portrait fait par le film est, du reste, tout
en nuances ; mais l’homme s’avère falot, sans relief et
incapable de réagir à l’événement : ce
démariage qu’il est dans l’incapacité d’envisager. Tel
que traité, le film s’en prend bien à l’institution
maritale, non à ses protagonistes.
Mon trésor de Keren Yedaya illustre jusqu’à l’absurde
mais aussi jusqu’à la tragédie, un type spécifique
d’aliénation féminine : la prostitution volontaire qui
n’obéit pas, du moins directement, à une contrainte
matérielle. Comme une sorte de vocation attirante de
péripatéticienne, la nuit, dans les rues de la grande
ville. Et y sombrera également la fille de l’héroïne
en tentant en vain d’en dissuader sa mère. C’est la
même actrice Ronit Elkabetz qui, avant de passer derrière
la caméra, en est la principale et brillante interprète.
À cette fin, elle s’est laissée grossir de quinze kilos
pour les besoins du rôle (hommage exprès au Robert de Niro
de Ragging bull). L’actrice, sorte de synthèse réussie de
la grecque Irène Papas et de l’américaine Anne Bancroft
(qui vient de nous quitter) réalise là une
véritable performance.
La prostitution encore avec Amos Gitaï, mais il s’agit cette
fois de ses réseaux décrits avec le style précis
et froid qu’on lui connaît au travers de sa
déjà longue filmographie. Ces réseaux de
prostitution sont expliqués dans leur origine, leur organisation
et leurs financements. Pour “alimenter” Israël, rien
n’arrête les trafiquants de femmes pour lesquels les
frontières pourtant nombreuses à cet endroit du Proche
Orient, semblent ne pas exister tant ces caravanes d’un nouveau genre
les traversent aisément. Ces cargaisons de filles, originaires
de l’Europe de l’Est sont montrées sans concessions aucunes,
saisies dès leur descente d’avion et forcées
au calvaire d’une traversée de désert finissant à
Eilat, dans un bordel à l’enseigne de La terre promise qui est
non seulement le titre du film mais également, on l’aura
compris, la morale que l’auteur, dans le style qui est le sien,
veut donner à cette oeuvre qui n’est pas une fable.
La recherche de l’identité n’est pas exclue de ce cinéma
d’un nouveau genre que l’on n’a pas manqué d’appeler
nouvelle vague. On le vérifie dans Tu marcheras sur l’eau, le
film d’Eytan Fox, déjà cité. Ce très
attachant long métrage met en scène un personnage qui
possède tous les attributs du héros positif
israélien. L’acteur Lior Ashkénazi est une star en
Israël parce qu’habitué des personnages
sécuritaires. Il interprète dans ce film le rôle
d’un agent du Mossad, sorte de James Bond à
l’israélienne, et jusque là rien à signaler.
Sauf que ses aventures vont l’amener à avoir un enfant avec une
allemande non-juive et dont le frère, qui va rendre de
précieux services à notre héros, s’avère
être un homosexuel.... Des questions, les
événements de la vie forceront celui qui,
jusque-là, ne semblait pas avoir d’état d’âme,
à s’en poser.
Le tableau de la société israélienne qui ressort
de cette cinématographie réaliste ne ressemble en rien
à l’idée que certains, dans la diaspora, se font d’un
pays idéalisé jusqu’à la caricature.
En Israël, ces œuvres filmiques nouvelles dont il faut bien
admettre qu’elles n’ont rien de tendre pour la société
concernée ont connu, pourtant, un authentique succès
populaire.
On peut écrire que ces cinéastes nouveaux ont fait œuvre
de salut. On dit que la vérité n’a pas de
frontières, mais là, ce dont il est question, c’est de
braquer l’objectif de la caméra sur la vérité
à l’intérieur des frontières d’un pays. Le
cinéma aidant, Israël va mieux connaître son propre
corps social, ses propres réalités sociales et
culturelles. Ces réalisateurs courageux mènent, à
leur manière et avec les moyens qui sont les leurs, le long
cours de la découverte du réel, du soi-même pour
tout un pays. Seule cette authentique rencontre -l’inverse d’un repli
sur, même si elle peut parfois en prendre l’apparence-
représente le nécessaire premier stade vers une meilleure
compréhension de l’autre. En arriver à
l’altérité après s’être mieux mis à
jour, c’est en matière de cinéma, traiter aussi le
conflit et la réalité palestinienne elle aussi
incontournable. Et, Katri Shéhoni, directeur du Fonds du
Cinéma Israélien de confirmer dans le quotidien
Libération du 27 avril dernier : “Il faut un temps d’incubation,
sortir de l’urgence avant que nous ayons fait des films
là-dessus”. Ce temps dont il est question là, les
amateurs de cinéma intéressés par
Israël à quelque titre que ce soit, savent qu’il doit
être respecté. Ils n’en attendent pas avec moins
d’impatience la fin de l’urgence qui leur permettra d’apprécier
l’abord cinématographique renouvelé de thèmes
comme le conflit et le processus de la paix indispensable pour les deux
peuples, sujets primordiaux, s’il en est, pour l’avenir et le devenir
d’Israël.